dimanche 13 septembre 2009

Des Guermantes aux "Bad Boys"

Lu sur : Les Echos Série Limitée

Figures de proue post-modernes:

Le vestiaire masculin n'est-il qu'une version chiffon de l'Éternel retour ? Sans doute. Mais création et héros tutélaires font bon ménage : décryptage du come back - moins excentrique que l'on ne croit - du tartan, du capiton et du rouge Guermantes.

DE LA DUCHESSE DE GUERMANTES À BARBEY

La duchesse de Guermantes et Kayne West, même combat ? Peut-être bien. Car l'aristocrate proustienne et le rappeur ont un point commun : le soulier rouge. L'Américain n'a peut-être jamais lu la scène où Basin, duc de Guermantes, fait un sketch à Oriane, son épouse, car elle arbore des souliers noirs et non rouges et l'envoie illico presto en changer. Et pourtant, son Basin à lui, c'est Louis Vuitton et son soulier, une sneaker. Il l'a dessinée et elle signe nombre de silhouettes d'un défilé Louis Vuitton où Paul Helbers use de la touche vermillon pour souligner les indigos, prunes et terres de sa palette. Une excentricité ? Pas vraiment : le trait rouge est une carte classique du dandy à la Barbey d'Aurevilly, figure tutélaire de l'élégance masculine.

En version grand chic-grand genre, c'est ainsi un pourpre de Mogador qui teinte les semelles des modèles bespoke de John Lobb. Plus affirmé dans l'addiction, on tenter l'écarlate en pantalon chez Ralph Lauren ou Corneliani. Quant à Giorgio Armani, pour Emporio Armani, il en joue en outdoor pour des panoplies de skieurs chic aux longs gants cardinalices. Mais à ce jeu, le plus bel éclat est signé Véronique Nichanian chez Hermès. Il n'y a qu'elle pour pousser ainsi le rouge et oser un jaune éclatant donnant envie d'avoir envie. Un coup de podium ? Non. Les hommes qui aiment Hermès, moins conservateurs qu'on ne le croit, aiment ses coups de cravache...

DE NAPOLÉON III À GUIDO VISCONTI

Chez le mâle, le fashion drama est une denrée si rare que l'on goûte d'autant plus ceux qui éclatent. Ainsi en janvier 2009, à Milan, lors de la présentation des collections de l'automne-hiver 2009-2010. Giorgio Armani lance un " J'accuse " reléguant Zola au rayon des curiosités historiques. L'objet de son ire ? Dolce & Gabbana qu'il fait plus que soupçonner de plagiat. Domenico et Stefano répliquent par un scud en affirmant que cela fait très longtemps, mais vraiment très longtemps, qu'ils ne regardent plus les propositions de Giorgio. Ambiance de règlement de comptes à la sicilienne - thème d'ailleurs de la collection des deux gaillards - autour de seize pantalons en soie capitonnée, tendance bergère Napoléon III oubliée à Compiègne après Sedan. La réalité des griefs ? Peu importe finalement. En proposant, après et avec d'autres, ce capitonné en fil conducteur, y compris sur des vestes d'intérieur, Domenico Dolce et Stefano Gabbana sont en plein dans la tendance du confort (dans une version grand genre plus habillée que le pyjama). On n'est pas chez Cavour mais chez Morny, demi-frère de l'Empereur, au pavillon de Flore. Autre écho de la Fête impériale chez les Toulousains de Marchand Drapier qui exploitent eux le filon avec recul et humour en imprimé capiton sur veste, pantalon et doublure...

Cette passion napoléonide frappe également les pieds de manière encore capitonnée (trop de capiton ne tue pas le capiton) chez Viktor & Rolf. Les baskets montantes ainsi calfeutrées décontractent les strictes silhouettes des lurons néerlandais. C'est le vrai secret du capiton : plus qu'une réhabilitation de Napoléon III, il est l'écho urbanisé de la doudoune - icône fashion - et du barbour - icône BCBG -, surfant entre indoor et outdoor, abolissant les frontières entre XVIe nord et Boboland. En version branchic-bon genre, l'acmé de la saison s'exprime avec l'élégance des grands faiseurs chez Ermenegildo Zegna. Ici le capiton s'exprime en doublure amovible d'un manteau (le vrai chic ? porter la doublure) ou en veste de cachemire, laine et soie matelassée, doublée de lainage rayé. Dans le genre, c'est ce qui s'est fait de mieux depuis des années. Que l'on choisisse de la porter, comme en mode défilé, sur une culotte d'équitation en peau ou plus simplement sur pantalon sable. On est très loin d'une allure à la " J'étais-à-Saint-Jean-de-Passy-et-je-ne-m'en-suis-jamais-remis... " Aux jeux des références, on se situe plutôt chez les frères Guido et Luchino Visconti, époque éleveurs de pur-sang. Eugénie aurait adoré.

DES STUART AUX BAD BOYS

Tout le monde n'a pas la chance d'appartenir à un clan écossais ou d'habiter Aubigny-sur-Nère (Cher, 5 775 habitants), seul village français ayant son tartan officiel, lointain héritage des Stuart et du commerce du drap qui firent sa gloire... Devant cette injustice, les infortunés exclus se sont longtemps rabattus sur le prince-de-galles, historiquement réservé aux propriétaires fonciers n'ayant justement pas le droit au tartan. Les temps changent et cette étoffe de laine à carreaux devient un rite écossais, certes ancien, sans doute rectifié (le kilt n'est plus son support unique) mais surtout de plus en plus accepté par les vestiaires mâles. Il réconcilie tout le monde, du preppy - en version veste chez Ralph Lauren -, au rugbyman - chez Serge Blanco - en passant par les bad boys des primes, type Soan, vainqueur de la nouvelle Star 2009, arborant dans sa course à la gloire télévisée un ensemble de tartan rouge de Yohji Yamamoto - de la saison dernière il est vrai. Décomplexé, il s'énonce urbain et tout sauf ringard. Il faut en effet de l'assurance pour oser crânement le caban tartan de Old England vert et bleu à fines rayures rouges, ou plus marqué (mais quitte à oser, autant y aller) à dominantes rouge et blanc. Too much ? Pas de panique, l'honorable maison du boulevard des Capucines, le propose aussi en version chemise de coton ou noeud papillon. Elle n'est pas la seule. Ainsi Paul Smith s'en donne à coeur joie sur tous les éléments du vestiaire, n'hésitant pas à les associer entre eux, laissant éclater francs turquoises et pétants vermillons : il y a de la joie dans cet usage du tartan, cinglant comme un trait de gin dans un martini. Giorgio Armani lui donne des éclats bleus en version veste chez Emporio Armani, alors que Tomas Maier chez Bottega Veneta le propose en caban surdimensionné ou (et on préfère) en blouson aux accents de vieux roses. Simple, efficace, séduisant.

Christopher Bailey quant à lui, chez Burberry Prorsum, s'amuse avec l'historique damier de la maison en dépoussiérant totalement son usage BCBG. Il pousse ainsi le motif jusqu'à l'hypertrophie (pour un T-shirt à manches longues). Plus subtilement, il repropose l'iconique écharpe en version XL : passée autour du cou comme un chèche, elle est l'accessoire de la saison. Mais la vraie claque vient d'Alexander McQueen qui signe d'ailleurs l'une des (la) collections la plus cohérente et racée de la saison. Le tartan ? Il l'assène en costumes et gilets à la coupe tailoring, réconciliant le dandy et le bad boy, Jekyll et Hide, Edouard VII et Jack l'Éventreur, Savile Row et la vraie vie. Passéiste ? Non diablement contemporain.


GILLES DENIS

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